NEUROSCIENCES
Le sport rend plus intelligent
Le sport est une pilule miracle : couplant activités physiques et intellectuelles, il augmente les performances du cerveau. Les dernières avancées des neurosciences nous expliquent comment.
David Moreau
Dans ce numéro
L'essentiel
- Le cerveau est plastique : de nouveaux neurones apparaissent tandis que d'autres disparaissent. L'activité physique, même modérée, stimule cette neurogenèse.
- Mais les nouvelles connexions cérébrales ne sont maintenues et efficaces que si elles servent : une activité exigeante, sur le plan cognitif, est nécessaire.
- Le sport a l'avantage de coupler activités physiques et cognitives. Quelques règles à respecter : changer ses habitudes, varier les situations de jeu.
Pour en savoir plus
D. Moreau, Can brain training boost cognition ?, in Nature, vol. 515, p. 492, 2014.
D. Moreau et A. Conway, The case for an ecological approach to cognitive training, in Trends in Cognitive Sciences, vol. 18, pp. 334-336, 2014.
J. Ratey, SPARK : The Revolutionary New Science of Exercise and the Brain, Little Brown, 2008.
C. Hillman et al., Be smart, exercise your heart : exercise effects on brain and cognition, in Nature Reviews Neuroscience, vol. 9, pp. 58-65, 2008.
Sentez-vous sport, santé vous bien ! C'était le slogan des premiers rendez-vous Sport, santé, bien-êtreorganisés en septembre 2014 par le ministère de la Santé et des Sports, le mouvement sportif français et la Mutualité française. L'objectif : inciter les Français à pratiquer une activité physique ou sportive régulière et modérée. Nul ne peut aujourd'hui l'ignorer, il faut « pratiquer une activité physique régulière »… Car sport rime avec meilleure santé. De nombreuses études scientifiques claires et rigoureuses l'ont maintes fois confirmé. Amélioration générale de la santé, diminution des troubles cardiaques ou respiratoires, ainsi que du risque de développer certaines maladies tels les cancers, augmentation de l'espérance de vie.
Mais ce n'est pas tout : les recherches actuelles montrent que le sport permet aussi d'améliorer les performances du cerveau. « Musclez sa tête avec ses jambes » en quelque sorte. Alors par quels mécanismes les activités sportives stimulent-elles les capacités cérébrales telles que le raisonnement ou la mémoire ?
Plus que jamais, on s'intéresse au fonctionnement du cerveau, et, de fait, aux moyens de l'améliorer ou au moins de l'entretenir à mesure que l'âge avance. Cet intérêt pour la santé mentale repose sur deux phénomènes : l'augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies affectant les fonctions cognitives, telle la maladie d'Alzheimer, et la découverte relativement récente de la « plasticité cérébrale ».
Un cerveau « plastique »
Que signifie ce terme qui peut sembler quelque peu obscur ? Jusqu'à peu, on pensait que le cerveau se développait de la naissance au début de l'âge adulte – jusqu'à l'âge de 20 ou 25 ans –, puis déclinait régulièrement et inéluctablement. Mais grâce aux récentes découvertes scientifiques, on a désormais une vision plus optimiste du cerveau : à tout moment, le système nerveux peut produire de nouvelles connexions en formant non seulement de nouvelles synapses, les zones de contact entre cellules nerveuses, mais aussi de nouveaux neurones . La plasticité cérébrale est une réalité prometteuse. Elle souligne le dynamisme des fonctions cognitives, offrant de ce fait des perspectives encourageantes d'entraînement et de rééducation.
Forts de ces résultats, de nombreux développeurs en informatique se sont engouffrés dans le créneau, porteur, de l'entraînement cérébral. Que ce soit sur consoles de jeux, ordinateurs ou smartphones, le principe est similaire : proposer des exercices visant à stimuler les fonctions cognitives, telles la mémoire, l'attention ou encore la vitesse de réaction.
Toutefois, aujourd'hui, les scientifiques pensent que ce type d'entraînements ne se « transfère » pas ou peu aux tâches de la vie quotidienne. En d'autres termes, vous êtes imbattable sur votre smartphone au sudoku, mais cela ne sert pas à grand-chose. Les capacités de raisonnement acquises en pratiquant ce jeu ne sont probablement pas celles que vous utilisez à votre travail.
Pourtant, un remède au déclin du cerveau existe. Accessible au plus grand nombre, sans nécessiter de souscriptions coûteuses ou de moyens financiers importants. C'est l'activité physique. Les scientifiques sont unanimes : l'exercice est bénéfique pour la santé mentale, via des mécanismes neurophysiologiques désormais bien connus. En particulier, il favorise la neurogenèse, la création de nouveaux neurones, dans certaines régions de l'hippocampe, structure du cerveau jouant un rôle central dans l'apprentissage spatial et la mémoire, ainsi que dans différentes aires du cortex, siège des fonctions cognitives les plus complexes, telle la planification et l'anticipation.
L'exercice physique engendre aussi la production de nouvelles cellules sanguines et une irrigation plus efficace du système nerveux, et, par conséquent, prolonge la durée de vie des neurones existants. Ces effets sont provoqués par une augmentation naturelle, dans l'organisme, de la concentration d'hormones de croissance (BDNF, IGF-1, VEGF) et de neurotransmetteurs (surtout dopamine, sérotonine, épinéphrine, norépinéphrine et mélatonine).
Le sport, c'est travailler le physique et le mental
Pour ces raisons, on prescrit souvent une activité physique pour retarder ou éviter certains troubles mentaux des maladies d'Alzheimer et de Parkinson par exemple, ou des syndromes dépressifs et des déficits attentionnels. L'exercice favorise aussi la rééducation après un accident vasculaire cérébral. Ces résultats prometteurs ont d'ailleurs poussé l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à préconiser l'exercice physique comme moyen global de prévention des troubles de la santé.
L'activité physique favorise donc l'apparition de nouvelles cellules nerveuses. Mais ce n'est pas suffisant. Les tâches impliquant un engagement intellectuel important aident à leur survie. Faire de l'exercice engendre la production de nouveaux neurones, mais la plupart d'entre eux sont détruits après une à deux semaines environ s'ils ne sont pas intégrés au réseau neuronal existant. Or, la meilleure façon de les conserver est de prendre part à des activités exigeantes sur le plan intellectuel. Il faut pousser le cerveau hors de ses limites ; bouger pour créer de nouveaux neurones et penser pour les conserver. De là découle l'idée de combiner activités physiques et intellectuelles pour obtenir les meilleurs résultats.
C'est exactement la direction que nous avons prise dans notre laboratoire, à l'Université de Princeton. Nous avons imaginé des activités physiques complexes sur le plan cognitif. Les participants devaient résoudre des problèmes perceptifs, moteurs et cognitifs, tout en maintenant un effort physique constant. Par exemple, certains mémorisaient une suite de mouvements, puis les répétaient, alors que d'autres imaginaient des mouvements inédits leur permettant de se sortir de situations délicates. Cette composante cognitive était couplée à une composante physique : de petits sauts sur place ou des courses à allures modérées.
Quel est l'avantage d'une telle pratique par rapport à des sollicitations physiques et cognitives séparées ? L'organisme se retrouve dans une situation délicate à gérer, à cause d'une compétition de ressources entre muscles et cerveau. Maintenir une capacité de concentration importante dans cette situation est difficile, mais le corps s'adapte à mesure de l'entraînement et progresse.
Mettre en œuvre ce genre d'entraînement à la maison se révèle difficile… Un minimum de connaissances en neurosciences et en sciences du mouvement est nécessaire. Néanmoins, la bonne nouvelle est que ces activités complexes, à la fois physiques et intellectuelles, existent déjà : ce sont les activités sportives.
La clé d'un développement cognitif continu tient en trois points : nouveauté, diversité, complexité. Ces aspects sont naturels durant les premières années de la vie, quand toute expérience est nouvelle et complexe, mais deviennent plus rares à mesure que l'âge avance.
Vous vous spécialisez, toujours plus. Vous devenez expert dans un domaine. La pratique sportive ne déroge pas à cette règle. Vous jouez sur vos acquis. Vous ne progressez plus. Casser ce cycle demande effort et volonté.
Nouveauté, diversité, complexité
Rechercher la nouveauté ne signifie pas forcément changer d'activités. Vous pratiquez l'escalade, le judo ou la gymnastique ? Essayez de vous concentrer sur les données non visuelles, par exemple en fermant les yeux pendant une partie de votre séance. Ce petit détail, anodin en apparence, force le cerveau à traiter des informations normalement présentes, tels les bruits autour de vous, mais largement ignorées au profit de la vision. Progressivement, le corps apprend à s'organiser à partir de données provenant d'autres sens. Si le procédé est ponctuel, les changements neuronaux seront minimes. Si vous persévérez, vous ouvrirez la porte à des modifications beaucoup plus durables et permanentes.
Vous pouvez aussi pratiquer diverses activités mettant en jeu des capacités distinctes. Plusieurs combinaisons de sports vous permettent d'enrichir le panel d'interactions avec votre environnement. Un sport collectif associé à un art martial, une activité artistique avec un sport d'endurance. La diversité peut aussi s'envisager au sein d'une même activité. Vous pratiquez le tennis, avec un style régulier, voire défensif, du fond du court ? Étoffez votre panoplie de jeu. Montez au filet, attaquez, tentez de déséquilibrer l'adversaire. Vous jouez au football, avant-centre à la pointe d'une équipe de club ? Initiez-vous à d'autres facettes du jeu, en évoluant en défense ou dans les buts.
De nouvelles exigences, différentes de celles ayant forgé vos automatismes de jeu, vous poussent à « repenser » votre activité de prédilection, lançant le remodelage de vos réseaux neuronaux. Ce qui est plus enrichissant que de passer du temps sur des mots fléchés, sudokus ou autres programmes d'entraînement cérébral censés stimuler les fonctions intellectuelles. Et tellement plus épanouissant, avec des conséquences bien plus importantes !
Une autre clé de la quête de santé cognitive est la complexité. Avec la compétition par exemple. Souvent dénigrée, sans doute par le caractère extrême des pratiques qu'elle peut provoquer, la compétition reste un moyen intéressant de repousser vos limites et ainsi de progresser tant sur le plan physique que mental. Lorsqu'elle est appréhendée de façon positive, elle représente une source non négligeable de motivation, via la fixation d'objectifs précis et tangibles. Ainsi, avec des adversaires de niveaux souvent similaires, la compétition favorise la recherche des meilleures solutions face à des situations complexes. Cette démarche est particulièrement saine dans le sens où elle offre un degré de difficulté approprié, favorable à l'émergence de réponses adéquates.
C'est en effet une constante de tout programme d'entraînement : le fait qu'il vise le développement physique ou cognitif : le niveau de complexité proposé doit être adapté à vos capacités – ni trop facile, ni démesurément difficile – pour optimiser la progression. Quand vous débutez au saut à la perche, inutile de placer la barre à 6 m 16 !
Enfin, mettez l'accent sur la continuité de l'effort. La majorité des études scientifiques a montré que la formation de nouveaux neurones à l'âge adulte est issue de programmes d'entraînement de type aérobie, reposant sur des efforts modérés, mais continus. Vous devez donc limiter les coupures supérieures à quelques minutes dans votre séance. Il est parfois difficile d'éviter les temps morts, surtout si vous pratiquez en groupe avec des partenaires moins consciencieux. Dans ce cas, une récupération active, à faible intensité – sautez sur place – est préférable à l'arrêt de l'effort.
Tout individu peut-il pratiquer une activité sportive, et donc renforcer sa santé mentale ? En sport et ailleurs, progresser passe par l'identification de ses points faibles – en d'autres termes, il faut bien se connaître pour s'améliorer. L'entraînement des facultés intellectuelles ne déroge pas à la règle : certains types d'entraînements ont plus d'impact sur certaines personnes que d'autres, car ils mettent l'accent sur des points particuliers qui sont à travailler pour certains individus mais pas pour d'autres.
Des différences interindividuelles
C'est bien là toute la difficulté de ce champ de recherche : définir les points fondamentaux à l'amélioration des performances cognitives, en tenant compte des différences interindividuelles. Pour revenir aux exercices d'entraînement cérébral, il faut préciser que l'ordinateur peut être un complément intéressant dans certains cas. Par exemple pour des patients atteints de troubles de l'attention, des personnes âgées ou des individus diminués physiquement. Quand certaines aptitudes cognitives sont déficientes ou que les stimulations quotidiennes sont pauvres, un entraînement informatisé se révèle utile. En revanche, pour toute personne qui en est capable, le sport reste une activité naturelle, saine pour l'esprit et le corps. En novembre 2009 à Marseille, le président de la République déclarait que « le sport est un élément capital de la santé ». Précisons : « de la santé physique et mentale ».
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