samedi 25 juin 2016

NEUROSCIENCES ET PSYCHOLOGIE DU SPORT






NEUROSCIENCES ET PSYCHOLOGIE DU SPORT : QUELQUES ELEMENTS DE REFLEXION POUR AMELIORER LA PERFORMANCE SPORTIVE 



Claire Calmels1

1 Institut National du Sport et de l’Education Physique, Mission Recherche, Paris, France


Correspondance : claire.calmels@insep.fr


L’objet de cette communication est de montrer comment les
découvertes récentes dans le champ des neurosciences apportent des éclairages nouveaux sur les mécanismes qui sous-tendent la cognition et plus particulièrement sur les mécanismes de l’observation. Des implications pratiques pour l’entraînement sportif sont également suggérées et discutées.

De nos jours, l’expansion massive des solutions vidéo-numériques (e.g., Dart Trainer) permet de concevoir la relation pédagogique «Educateur, Entraîneur / Elèves, Sportifs» différemment. La parole n’est plus le seul moyen privilégié pour transmettre de l’information, d’autres modes sont utilisés, tels que l’observation de modèles qui est une approche actuellement revalorisée. Les effets bénéfiques de l’observation d’un modèle dans le cadre de l’apprentissage sont à présent reconnus tant dans la communauté sportive que dans la communauté scientifique (pour une revue, voir McCullagh & Weiss, 2001). Le recours à cette modalité d’apprentissage repose sur le postulat que l’observateur déploie une activité consistant à sélectionner, encoder, et réutiliser lors d’exécutions ultérieures, les informations auxquelles il a été confronté. Il construit ainsi des représentations symboliques des activités modèles (Bandura, 1977, 1986, 1997). Bien que l’approche socio-cognitive de l’apprentissage par observation (Bandura, 1976, 1986, 1997) ait été l’approche théorique majoritairement utilisée pour expliquer l’acquisition de tâches motrices dans le domaine sportif (Williams, Davids, & Williams, 1999), il n’en demeure pas moins que la focalisation sur d’autres processus, tels que les caractéristiques opérationnelles du processus attentionnel (e.g., Scully & Newell, 1985), nous semble incontournable. Par exemple, l’approche socio-cognitive de Bandura ne permet pas de rendre compte des mécanismes sous-tendant la transformation d’un comportement visuellement observé en un comportement effectivement réalisé physiquement. Pendant longtemps, les individus souffrant d’apraxies ont constitué une population d’étude privilégiée qui a permis l’investigation de ces mécanismes. Actuellement, les progrès de la technologie et l’usage de plus en plus répandu des techniques d’électrophysiologie et d’imagerie médicale ont permis aux chercheurs de mieux appréhender ces mécanismes et de soutenir l’hypothèse de l’existence d’un lien étroit entre la perception et l’action. L’idée d’une association étroite entre les espaces visuels et moteurs, dénommé «direct matching hypothesis», n’est pas nouvelle mais elle est renforcée par la découverte des neurones miroirs.


Mis en évidence au début des années 1990 dans le cortex prémoteur ventral du singe via des enregistrements extracellulaires unitaires (e.g., Gallese, Fadiga, Fogassi, & Rizzolatti, 1996; Rizzolatti, Carmada, Fogassi, Gentilucci, Luppino, & Matelli, 1988), les neurones miroirs sont des neurones visuomoteurs qui présentent des caractéristiques singulières. En effet, ces neurones s’activent, c’est-à-dire émettent des potentiels d’action, lorsqu’un macaque réalise une action de préhension et lorsqu’il observe cette même action réalisée par un de ses congénères ou un être humain. Par contre, ces neurones ne répondent pas lors de l’observation d’actions intransitives, d’actions mimées, d’actions réalisées avec un instrument, et d’objets seuls (voir Rizzolatti & Craighero, 2004).

L’existence d’un réseau similaire neuronal chez l’homme est admise par l’ensemble de la communauté scientifique et a été mise en évidence grâce à des travaux récents d’électroencéphalographie (Calmels, Holmes, Jarry, Hars, Lopez, Paillard, et al., 2006; Cochin, Barthelemy, Roux, & Martineaux, 1999) et d’imagerie cérébrale (e.g., Buccino, Binkofski, Fink, Fadiga, Fogassi, Gallese, et al., 2001; Grèzes,



Armony, Rowe, & Passingham, 2003). Ce réseau ou encore ce «système miroir» ou ce «phénomène de résonance» suggère que la perception d’une action stimule dans le cerveau de l’observateur une représentation analogue à celle qu’il aurait élaborée s’il avait réalisé lui-même cette action (Grèzes et al., 2003). Les propriétés de ce système, elles, ne sont pas, actuellement entièrement connues. La littérature a mis en évidence que ce système n’est mis en jeu que sous certaines conditions. Par exemple, il est peu impliqué lorsque l’action observée est réalisée par un agent non biologique (Perani, Fazio, Borghese, Tettamanti, Ferrari, Decety, et al., 2001). Il n’est pas sollicité lorsque l’action regardée est impossible à exécuter d’un point de vue biomécanique (Stevens, Fonlupt, Shiffrar, & Decety, 2000) ou n’appartient pas au répertoire moteur de l’observateur (Buccino, Lui, Canessa, Patteri, Lagravinese, Benuzzi, et al., 2004). Le niveau d’expertise de l’observateur influe également sur ce phénomène de résonance (Calvo-Merino, Glaser, Grèzes, Passingham, & Haggard, 2005). Des activations bilatérales plus importantes du cortex prémoteur, du cortex pariétal, et du sillon temporal supérieur (STS) ont été relevées chez des danseurs experts lors de l’observation de prestations habituellement réalisées par ces sujets alors que pour des mouvements n’appartenant pas à leur répertoire gestuel, ces activations étaient moindres (Calvo-Merino et al., 2005).

Les connaissances issues de la littérature des neurosciences et plus spécifiquement celles relatives aux neurones miroirs sont en mesure d’apporter un éclairage nouveau sur les procédures d’observation utilisées dans le domaine sportif. Un certain nombre de facteurs, connus pour avoir un impact sur le processus d’observation, tels que (a) la nature de la tâche observée (morpho ou téléocinétique, autogénérée ou extérosuscitée), (b) les caractéristiques de l’observation (anatomique ou spéculaire, réelle ou filmée), (c) la nature des instructions données avant une session d’observation, (d) le contexte de l’observation, et (e) les caractéristiques du sujet-observateur (expertise motrice, genre), seront évoqués. Des implications pratiques pour l’entraînement seront également systématiquement suggérées et discutées. Par exemple, en ce qui concerne les instructions données avant une session d’observation, il a été montré qu’en fonction de leur nature, des circuits corticaux différents étaient sollicités. Grèzes, Costes, et Decety (1998) ont mis en évidence qu’observer sans objectif précis des actions significatives pour le sujet («meaningful») ou des actions dénuées de sens pour l’individu («meaningless») activait, en plus d’un réseau cortical identique, respectivement la voie ventrale et la voie dorsale. Par contre, l’observation d’actions «meaningful» ou «meaningless», dans le but de les reproduire ultérieurement, mettait en jeu la voie dorsale. Plus précisément, Decety, Grèzes, Costes, Perani, Jeannerod, Procyk, et al. (1997) ont signalé l’implication du cortex préfrontal dorsolatéral et de l’aire motrice supplémentaire lorsque des individus étaient invités à observer un mouvement dans le but de le répliquer ensuite. Le gyrus droit parahippocampique, lui, était stimulé lorsque ces mêmes individus observaient un mouvement avec l’objectif de le reconnaître ultérieurement. Ces résultats ont pour objectif de sensibiliser les entraîneurs / éducateurs à l’importance de donner des instructions, des consignes claires et précises avant l’observation d’un modèle et de préciser le but de cette observation. Observer une prestation pour l’améliorer (i.e., but de reproduction) ou pour l’évaluer (i.e., but de reconnaissance) implique la mise en jeu de circuits neuronaux différents et le manque de précision dans les instructions prodiguées au sportif / à l’élève pourrait nuire à l’atteinte du but recherché. S’assurer également que les athlètes comprennent l’action observée, son but, et les intentions du modèle représente un gage pour l’obtention d’une performance motrice / sportive optimale.


En conclusion, nous avons examiné le processus d’observation et certains de ses mécanismes en privilégiant une approche théorique fondée sur les neurosciences. Nous sommes bien conscients que de nombreuses questions demeurent encore sans réponse (e.g., Quels contenus d’observation est-il préférable de mettre en place pour améliorer la confiance ou l’auto-évaluation? Ces contenus sont-ils similaires ou dépendent-ils de la fonction de l’observation? Quels circuits neuronaux sont mis en jeu?). Nous espérons, néanmoins, que cette communication permettra d’apporter une aide aux praticiens sur les choix pédagogiques qu’ils pourraient être amenés à faire lors de la mise en place de sessions d’observations.

Références

Bandura, A. (1976). L'apprentissage social. Bruxelles : Mardaga.



Bandura, A. (1986). Social foundations of thought and action: A social cognitive theory. Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall.

Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York: Freeman.

Buccino, G., Binkofski, F., Fink, G.R., Fadiga, L., Fogassi, L., Gallese, V., Seitz, R.J., Zilles, K., Rizzolatti, G., & Freund, H.J. (2001). Action observation activates premotor and parietal areas in a somatotopic manner: an fMRI study. European Journal of Neuroscience, 13, 400-404.

Buccino, G., Lui, F., Canessa, N., Patteri, I., Lagravinese, G., Benuzzi, N., Porro, C.A., & Rizzolatti, G. (2004). Neural circuits involved in the recognition of actions performed by nonspecifics: An fMRI study. Journal of Cognitive Neuroscience, 16, 114-126.

Calmels, C., Holmes, P., Jarry, G., Hars, M., Lopez, E., Paillard, A., & Stam, C.J. (2006). Variability of EEG synchronization prior to, and during, observation and execution of a sequential finger movement. Human Brain Mapping, 27, 251-266.

Calvo-Merino, B., Glaser, D.E., Grèzes, J., Passingham, R.E., & Haggard, P. (2005). Action observation and acquired motor skills: An fMRI study with expert dancers. Cerebral Cortex, 15, 1243-1249.

Cochin, S., Bathelemy, C., Roux, S., & Martineau, J. (1999). Observation and execution of movement: Similarities demonstrated by quantified electroencephalography. European Journal of Neuroscience, 11, 1839-1842.

Decety, J., Grèzes, J., Costes, N., Perani, D., Jeannerod, M., Procyk, E., Grassi, F., & Fazio, F. (1997). Brain activity during observation of actions. Influence of action content and subject's strategy. Brain, 120, 1763-1777.

Gallese, V., Fadiga, L., Fogassi, L., & Rizzolatti, G. (1996). Action recognition in the premotor cortex.

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McCullagh, P., & Weiss, M.R. (2001). Modeling: Considerations for motor skill performance and psychological responses. In R.N. Singer, H.A. Hausenblas, & C.M. Janelle (Eds.), Handbook of sport psychology (2nd ed., pp. 205-238). New York: Wiley.

Perani, D., Fazio, F., Borghese, N.A., Tettamanti, M., Ferrari, S., Decety, J., & Gilardi, M.C. (2001). Different brain correlates for watching real and virtual hand actions. NeuroImage, 14, 749-758.

Rizzolatti, G., Carmada, R., Fogassi, L., Gentilucci, M., Luppino, G., & Matelli, M. (1988). Functional organization of inferior area 6 in the macaque monkey: II. Area F5 and the control of distal movements. Experimental Brain Research, 71, 491-507.

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Scully, D.M., & Newell, K.M. (1985). Observational learning and the acquisition of motor skills: towards a visual perception perspective. Journal of Human Movement Studies, 11, 169-186.

Stevens, J.A., Fonlupt, P., Shiffrar, M., & Decety, J. (2000). New aspects of motion perception: selective neural encoding of apparent human movements. Neuroreport, 11, 109-115.


Williams, A.M., Davids, K., & Williams, J.G. (1999). Visual perception and action in sport. London: E. & F.N. Spon.

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