jeudi 31 décembre 2015

COMMENT L'EXERCICE PHYSIQUE BOOSTE NOS CAPACITÉ MENTALES

mensuel Sciences et Avenir n°821. 

CERVEAU. 65 % des Français pratiquent une activité sportive au moins une fois par semaine, pour être en forme, se dépasser, perdre du poids, se muscler ou encore évacuer le stress. Aujourd’hui, une motivation supplémentaire vient s’ajouter à la liste. L’exercice physique transforme aussi le cerveau ! À preuve, les résultats d’une étude finlandaise, publiée par l’université de Jyväskylä en mars. Sur dix paires de jumeaux masculins adultes, âgés de 32 à 36 ans, celui des jumeaux qui a fait le plus d’activités physiques durant les trois années précédentes possède un plus large volume de matière grise (corps cellulaires et synapses) dans deux structures cérébrales cruciales, le striatum (impliqué dans les mouvements volontaires et la gestion de la douleur) et le cortex préfrontal (le "PDG" de notre cerveau).
Bien avant cette découverte, on savait déjà que le sport avait un impact sur notre tête. Tous ceux qui font de l’exercice l’ont déjà ressenti. Après un entraînement, bien que fatigué, on se sent détendu et de meilleure humeur."L’action bénéfique est immédiate, on parle d’effet aigu", note le professeur Charles-Yannick Guezennec, ancien professeur à l'hôpital du Val-de-Grâce, médecin du sport à l'hôpital de Perpignan, dont les recherches ont porté sur l’endocrinologie et la neurochimie de la fatigue chez les sportifs de haut niveau. Mais il y a mieux : "Lorsque l’entraînement est régulier, un autre effet, chronique celui-là,s’installe, menant à une amélioration générale et durable de notre mental."

Moins d'anxiété, moins de déprimes et de névroses

Une vaste étude de l’Université libre d’Amsterdam (Pays-Bas), remontant à 2006, était déjà très éclairante sur ce point. 19.288.sujets, de l’adolescence à l’âge adulte, avaient été suivis pendant onze ans. Résultat, ceux qui pratiquaient au moins 60 minutes d’exercice par semaine étaient en moyenne moins anxieux, moins déprimés, moins névrosés, plus extravertis et recherchaient des sensations plus intenses que les non-pratiquants. "C’est un fait avéré, l’activité musculaire influe sur la neurochimie cérébrale et probablement, en conséquence, sur le comportement", poursuit le spécialiste. La tête et les jambes sont donc bien liées par quelque mécanisme secret. Oui mais lequel ?
La première hypothèse date des années 1980, après l’observation de l’effet antidépresseur de la course à pied. On attribue alors le phénomène à une augmentation du taux sanguin d’endorphines, des neuromédiateurs opiacés endogènes, aux propriétés analgésiques et euphorisantes. On se demande même si certains sportifs ne deviendraient pas dépendants à cette morphine naturelle ! En 2008, une étude en imagerie cérébrale de l’université de Munich (Allemagne) montre chez dix athlètes que certaines zones du cerveau fixent bien les opioïdes pendant l’effort. Mais cette théorie accuse des faiblesses.

"Lorsqu’on administre un antagoniste des endorphines, la naloxone, on ne modifie pas le comportement du sportif", explique Charles-Yannick Guezennec. Il y aurait donc d’autres processus en jeu. Tout d’abord, la sécrétion — lors d’une activité physique — de monoamines (adrénaline, noradrénaline, dopamine), et de cortisol (l’hormone du stress), qui engendrent une stimulation générale et une sensation d’euphorie. Aujourd’hui, une autre hypothèse est privilégiée, celle dite "de l’axe sérotoninergique, explique le médecin. La contraction musculaire engendrerait, au bout d’un certain temps, un afflux d’acides aminés (tryptophane) qui favoriserait la synthèse de sérotonine dans le cerveau, un neuromodulateur impliqué dans plusieurs fonctions dont la régulation de l’humeur".
L’effet anti-dépresseur du sport. L’activité musculaire prolongée entraîne une libération de tryptophane (acide aminé) par le muscle (1) et le foie (2). Traversant la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau, le tryptophane va favoriser la synthèse de sérotonine (3), essentielle dans la régulation de l'humeur, de l'anxiété, de l’appétit et du sommeil.
© Betty Lafon / Sciences et Avenir


Plus les sujets ont fait de l'exercice, meilleure sera leur mémoire

Grâce à tous ces mécanismes conjugués, l’exercice sportif joue un rôle stimulant, antidépresseur et antidouleur. Mais pas seulement. Des études montrent qu’il améliore également la mémoire. En 2003, l’équipe de Marcus Richards, de l’University College de Londres (Royaume-Uni), examine le lien entre activité physique et mémoire chez 1919 adultes. Leur niveau d’activité physique est évalué à l’âge de 36 ans, puis leur mémoire verbale à 43 et 53 ans. Conclusion : plus les sujets ont fait de l’exercice à 36 ans, meilleure est leur mémoire en milieu de vie ! L’effet peut être plus immédiat encore.
En 2014, l’équipe de Lisa Weinberg du Georgia Institute of Technology (Etats-Unis) a demandé à des étudiants de mémoriser 90 photos, puis de pratiquer un exercice de musculation des jambes — tandis qu’un groupe témoin  restait assis. Deux jours plus tard, les étudiants devaient reconnaître le plus d’images possible sur un lot de 180. Surprise, le groupe entraîné a su en reconnaître 60 %, 10 % de plus que les témoins…
Le sport a-t-il donc un impact sur les performances scolaires ? "Oui !", affirme Martine Duclos, chef du service médecine du sport du CHU de Clermont-Ferrand. La chercheuse, qui est en train d’analyser le devenir de 13000 adolescents français de 15 à 19 ans, a constaté "une corrélation positive entre leur condition physique et la catégorie de lycée dans lequel ils étaient (général, professionnel, agricole)." En 2013, une étude de l’université de Dundee en Écosse qui a suivi 4755 adolescents à 11, 13 et 16 ans montrait déjà que le niveau d’activité physique modérée avait un impact positif sur les performances en anglais, mathématiques et sciences.
"Il faut réhabiliter le muscle", assène Martine Duclos. Et le médecin d’évoquer un phénomène d’action directe sur les neurones, au moins chez la souris : "L’activité musculaire entraîne la production de myokines, des protéines qui, par un mécanisme complexe, vont pousser le cerveau à produire des facteurs de croissance, des neurotrophines et plus particulièrement le BDNF (brain-derived neurotrophic factor)." Chez la souris, le BDNF intervient dans la formation des circuits neuronaux et comme régulateur important de la plasticité synaptique. Il favorise la création de microvaisseaux (angiogenèse) et la production de nouveaux neurones (neurogenèse). 

30 minutes d'activité par jour pour un adulte 

"En résumé plus l’activité musculaire est élevée, plus l’angiogenèse et la neurogenèse sont importantes, plus on a de connexions synaptiques et donc meilleures sont les capacités cognitives", explique Martine Duclos. Reste à le prouver chez l’homme. Et de nombreuses questions ne sont pas résolues : l’effet bénéfique s’arrête-t-il quand l’entraînement cesse ? À quel niveau situer l’activité physique pour en tirer le meilleur parti ?
En l’absence de tests spécifiques, les spécialistes citent les recommandations officielles pour la santé générale : une heure par jour d’activité modérée à intense pour les enfants, 30 minutes d’activité modérée cinq fois par semaine pour un adulte ou un adolescent. Plus d’hésitation : pour le bien-être de notre tête, chaussons nos baskets.

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