NEUROSCIENCES ET PSYCHOLOGIE DU SPORT : QUELQUES ELEMENTS DE REFLEXION POUR AMELIORER LA PERFORMANCE SPORTIVE
Claire Calmels1
1
Institut National du Sport et de l’Education Physique, Mission Recherche,
Paris, France
Correspondance : claire.calmels@insep.fr
L’objet
de cette communication est de montrer comment les
découvertes récentes dans le champ des neurosciences apportent des éclairages nouveaux sur les mécanismes qui sous-tendent la cognition et plus particulièrement sur les mécanismes de l’observation. Des implications pratiques pour l’entraînement sportif sont également suggérées et discutées.
découvertes récentes dans le champ des neurosciences apportent des éclairages nouveaux sur les mécanismes qui sous-tendent la cognition et plus particulièrement sur les mécanismes de l’observation. Des implications pratiques pour l’entraînement sportif sont également suggérées et discutées.
De
nos jours, l’expansion massive des solutions vidéo-numériques (e.g., Dart
Trainer) permet de concevoir la relation pédagogique «Educateur, Entraîneur /
Elèves, Sportifs» différemment. La parole n’est plus le seul moyen privilégié
pour transmettre de l’information, d’autres modes sont utilisés, tels que l’observation
de modèles qui est une approche actuellement revalorisée. Les effets bénéfiques
de l’observation d’un modèle dans le cadre de l’apprentissage sont à présent
reconnus tant dans la communauté sportive que dans la communauté scientifique
(pour une revue, voir McCullagh & Weiss, 2001). Le recours à cette modalité
d’apprentissage repose sur le postulat que l’observateur déploie une activité
consistant à sélectionner, encoder, et réutiliser lors d’exécutions
ultérieures, les informations auxquelles il a été confronté. Il construit ainsi
des représentations symboliques des activités modèles (Bandura, 1977, 1986,
1997). Bien que l’approche socio-cognitive de l’apprentissage par observation
(Bandura, 1976, 1986, 1997) ait été l’approche théorique majoritairement
utilisée pour expliquer l’acquisition de tâches motrices dans le domaine
sportif (Williams, Davids, & Williams, 1999), il n’en demeure pas moins que
la focalisation sur d’autres processus, tels que les caractéristiques
opérationnelles du processus attentionnel (e.g., Scully & Newell, 1985),
nous semble incontournable. Par exemple, l’approche socio-cognitive de Bandura
ne permet pas de rendre compte des mécanismes sous-tendant la transformation d’un
comportement visuellement observé en un comportement effectivement réalisé
physiquement. Pendant longtemps, les individus souffrant d’apraxies ont
constitué une population d’étude privilégiée qui a permis l’investigation de
ces mécanismes. Actuellement, les progrès de la technologie et l’usage de plus
en plus répandu des techniques d’électrophysiologie et d’imagerie médicale ont
permis aux chercheurs de mieux appréhender ces mécanismes et de soutenir l’hypothèse
de l’existence d’un lien étroit entre la perception et l’action. L’idée d’une
association étroite entre les espaces visuels et moteurs, dénommé «direct
matching hypothesis», n’est pas nouvelle mais elle est renforcée par la
découverte des neurones miroirs.
Mis en évidence au début des années 1990 dans le cortex
prémoteur ventral du singe via des enregistrements extracellulaires unitaires
(e.g., Gallese, Fadiga, Fogassi, & Rizzolatti, 1996; Rizzolatti, Carmada,
Fogassi, Gentilucci, Luppino, & Matelli, 1988), les neurones miroirs sont
des neurones visuomoteurs qui présentent des caractéristiques singulières. En effet,
ces neurones s’activent, c’est-à-dire émettent des potentiels d’action, lorsqu’un
macaque réalise une action de préhension et lorsqu’il observe cette même action
réalisée par un de ses congénères ou un être humain. Par contre, ces neurones
ne répondent pas lors de l’observation d’actions intransitives, d’actions
mimées, d’actions réalisées avec un instrument, et d’objets seuls (voir
Rizzolatti & Craighero, 2004).
L’existence
d’un réseau similaire neuronal chez l’homme est admise par l’ensemble de la
communauté scientifique et a été mise en évidence grâce à des travaux récents d’électroencéphalographie
(Calmels, Holmes, Jarry, Hars, Lopez, Paillard, et al., 2006; Cochin,
Barthelemy, Roux, & Martineaux, 1999) et d’imagerie cérébrale (e.g.,
Buccino, Binkofski, Fink, Fadiga, Fogassi, Gallese, et al., 2001; Grèzes,
Armony, Rowe, & Passingham, 2003). Ce réseau ou encore
ce «système miroir» ou ce «phénomène de résonance» suggère que la perception d’une
action stimule dans le cerveau de l’observateur une représentation analogue à
celle qu’il aurait élaborée s’il avait réalisé lui-même cette action (Grèzes et
al., 2003). Les propriétés de ce système, elles, ne sont pas, actuellement
entièrement connues. La littérature a mis en évidence que ce système n’est mis
en jeu que sous certaines conditions. Par exemple, il est peu impliqué lorsque
l’action observée est réalisée par un agent non biologique (Perani, Fazio,
Borghese, Tettamanti, Ferrari, Decety, et al., 2001). Il n’est pas sollicité
lorsque l’action regardée est impossible à exécuter d’un point de vue
biomécanique (Stevens, Fonlupt, Shiffrar, & Decety, 2000) ou n’appartient
pas au répertoire moteur de l’observateur (Buccino, Lui, Canessa, Patteri,
Lagravinese, Benuzzi, et al., 2004). Le niveau d’expertise de l’observateur
influe également sur ce phénomène de résonance (Calvo-Merino, Glaser, Grèzes,
Passingham, & Haggard, 2005). Des activations bilatérales plus importantes
du cortex prémoteur, du cortex pariétal, et du sillon temporal supérieur (STS)
ont été relevées chez des danseurs experts lors de l’observation de prestations
habituellement réalisées par ces sujets alors que pour des mouvements n’appartenant
pas à leur répertoire gestuel, ces activations étaient moindres (Calvo-Merino
et al., 2005).
Les
connaissances issues de la littérature des neurosciences et plus spécifiquement
celles relatives aux neurones miroirs sont en mesure d’apporter un éclairage
nouveau sur les procédures d’observation utilisées dans le domaine sportif. Un
certain nombre de facteurs, connus pour avoir un impact sur le processus d’observation,
tels que (a) la nature de la tâche observée (morpho ou téléocinétique,
autogénérée ou extérosuscitée), (b) les caractéristiques de l’observation
(anatomique ou spéculaire, réelle ou filmée), (c) la nature des instructions
données avant une session d’observation, (d) le contexte de l’observation, et
(e) les caractéristiques du sujet-observateur (expertise motrice, genre),
seront évoqués. Des implications pratiques pour l’entraînement seront également
systématiquement suggérées et discutées. Par exemple, en ce qui concerne les
instructions données avant une session d’observation, il a été montré qu’en
fonction de leur nature, des circuits corticaux différents étaient sollicités.
Grèzes, Costes, et Decety (1998) ont mis en évidence qu’observer sans objectif
précis des actions significatives pour le sujet («meaningful») ou des actions
dénuées de sens pour l’individu («meaningless») activait, en plus d’un réseau
cortical identique, respectivement la voie ventrale et la voie dorsale. Par
contre, l’observation d’actions «meaningful» ou «meaningless», dans le but de
les reproduire ultérieurement, mettait en jeu la voie dorsale. Plus
précisément, Decety, Grèzes, Costes, Perani, Jeannerod, Procyk, et al. (1997)
ont signalé l’implication du cortex préfrontal dorsolatéral et de l’aire
motrice supplémentaire lorsque des individus étaient invités à observer un
mouvement dans le but de le répliquer ensuite. Le gyrus droit
parahippocampique, lui, était stimulé lorsque ces mêmes individus observaient
un mouvement avec l’objectif de le reconnaître ultérieurement. Ces résultats
ont pour objectif de sensibiliser les entraîneurs / éducateurs à l’importance
de donner des instructions, des consignes claires et précises avant l’observation
d’un modèle et de préciser le but de cette observation. Observer une prestation
pour l’améliorer (i.e., but de reproduction) ou pour l’évaluer (i.e., but de
reconnaissance) implique la mise en jeu de circuits neuronaux différents et le
manque de précision dans les instructions prodiguées au sportif / à l’élève
pourrait nuire à l’atteinte du but recherché. S’assurer également que les
athlètes comprennent l’action observée, son but, et les intentions du modèle
représente un gage pour l’obtention d’une performance motrice / sportive
optimale.
En
conclusion, nous avons examiné le processus d’observation et certains de ses
mécanismes en privilégiant une approche théorique fondée sur les neurosciences.
Nous sommes bien conscients que de nombreuses questions demeurent encore sans
réponse (e.g., Quels contenus d’observation est-il préférable de mettre en
place pour améliorer la confiance ou l’auto-évaluation? Ces contenus sont-ils
similaires ou dépendent-ils de la fonction de l’observation? Quels circuits neuronaux
sont mis en jeu?). Nous espérons, néanmoins, que cette communication permettra
d’apporter une aide aux praticiens sur les choix pédagogiques qu’ils pourraient
être amenés à faire lors de la mise en place de sessions d’observations.
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